Faut-il supprimer les corners ?

Le 28 janvier 2019 - Par qui vous parle de , , Tags : , , , ,

Suite au récent billet de Christophe Kuchly sur les corners à deux (dont il reparle dans le dernier épisode du podcast tactique Vu du banc), nous avons décidé d’aborder ces phases de jeu dont l’efficacité est bien souvent surestimée (cf un article de L’Équipe de juillet 2017). Le titre provocateur n’est pas là pour faire injure à ces coups de pied arrêtés qui ont fait la gloire du football français, mais pour mettre en perspective ces réflexions récentes.

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Contrairement à d’autres sports majeurs, le football est un sport qui a peu évolué dans ses règles ; par extension, on peut supposer qu’on atteindra bientôt (voire qu’on a déjà atteint) un seuil en terme d’innovations tactiques majeures. Il y a des tendances, des modes, des évolutions physiques, des avancées dans la quête de gains marginaux (cf. le travail de Liverpool sur les touches, ou de certains clubs sur le sommeil des joueurs), mais le jeu est sensiblement le même depuis ce qu’on pourrait nommer l’ère Guardiola. Nous proposons donc ici une piste d’évolution du football mettant en valeur la recherche tactique et les buts.

L’amour à deux c’est toujours mieux

Dans son billet, le journaliste Christophe Kuchly s’appuie sur une étude publiée dans l’International Journal of Performance Analysis in Sport, en août 2015. Intitulée « Analysis of Corner Kick Success in Elite Football« , celle-ci stipule aisni que « les corners, largement inefficaces à l’échelle de leur nombre, gagnent en réussite quand ils sont le point de départ de combinaisons à plusieurs« . De manière synthétique on pourra plus précisément retenir :

  • que les corners en général sont rares et inefficaces, donc ;
  • que les corners avec combinaisons sont moins dangereux pour les transitions offensives adverses ;
  • que les corners au second poteau avec remise, ou ceux joués très court donc à deux, sont plus efficaces (57,6% de chance d’aboutir à un tir cadré)

Bien que relativement contre-intuitif, ce dernier point s’explique en réalité assez aisément : en jouant un corner à deux, on s’affranchit des contraintes du corner traditionnel pour se rapprocher d’une phase de jeu ouvert plus classique, avec un meilleur angle de centre mais une densité importante dans la surface. Par ailleurs, les variétés de combinaisons – au delà d’une créativité plaisante – amènent une imprévisibilité qui rend compliquée la défense adverse.

De la rentabilité statistique du coup de pied de coin

De son côté, l’article de L’Equipe reprend l’analyse publiée sur Reddit par un statisticien amateur baptisé Hesussavas. Comme point de départ de sa réflexion, le blogueur s’appuie sur l’étude d’économistes sur la Premier League expliquant que 20% des corners aboutissent à un tir, et que 10% de ceux-ci aboutissent à un but, soit donc 2% des corners finissant en but.

Dans sa grande folie, Hesussavas s’est donné pour mission d’étendre la recherche à un plus grand échantillon de données, en prenant plusieurs championnats et plusieurs saisons. Son analyse, portant sur plus de 11 000 matchs, conclut que 1,3% des corners finissent en but. Mais il faut nuancer ce constat, puisque tout type d’action engendre statistiquement peu de buts (c’est l’une des particularités du football, par rapport au basket par exemple). Or, les tirs générés par des corners sont en général de meilleure qualité que des tirs dans le jeu :

« Sur la saison 2012-13 de Premier League, il y a ainsi eu 10 559 tirs pour 1 063 buts, soit un taux de conversion général de 10% (un but tous les 10 tirs). En comparaison, sur les 805 tirs tentés consécutivement à un corner cette saison-là, 123 ont amené un but, soit un taux de conversion de 15,65%. »

Cela explique pourquoi les équipent font souvent monter leurs défenseurs centraux habiles dans le jeu de aérien sur ces phases de jeu, où en position défensive placent leur numéro 9 à l’entrée de la surface du côté du tireur. Les corners restent une phase de jeu à travailler comme une autre, et cela dépasse les gains marginaux comme le rappelait L’Equipe :

« Lors de la saison avant l’arrivée de Tony Pulis à la tête de West Brom en janvier 2015, le club ne marquait en moyenne qu’un but sur corner tous les 19 matches. Après son arrivée (et sans compter la saison 2014-2015, au milieu de laquelle Pulis est arrivé), ce chiffre est descendu à 7,6 matches puis à 3,8 matches. »

A quoi servent vraiment les corners ?

De nombreux entraîneurs travaillent des combinaisons dont on a évoqué la dangerosité. Repartons de ce point, avant de nous intéresser à la dimension de transition défensive fragile qui peut entraîner des buts en contre-attaque (alors justement que l’équipe offensive était censé être dans une phase à son avantage).

Sur le premier point, faisons un lien avec les centres en général. Nous nous appuierons ici sur une présentation de Garry Gelade donnée lors du OPTA Pro Forum 2017 que les géniaux Birdace et OMalytics ont résumé sur le blog Cotestats. La qualité des centres, comme les corners, ne dépendent pas seulement de leur trajectoire (tendu, aérien, enroulé, etc.) mais aussi fortement de leurs points de départ et d’arrivée. Pour une même zone d’arrivée, l’origine du centre est primordiale, et l’étude de Garry Gelade souligne la pertinence des centres en retrait dont nous sommes ici de grands partisans :

 

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Les taux de conversion passent de 0,5 à 1,7% !

Pour les centres comme pour les corners, il faut toutefois ne pas occulter les effets indirects, comme les seconds ballons. Adapter alors sa stratégie pour privilégier des tirs de meilleure qualité paraît donc logique. Le taux de conversion des centres derrière le point de penalty n’est que de 2% contre 5,8% pour ceux qui le dépassent : néanmoins, un ballon joué aux abords de la surface ou loin au second poteau avec l’objectif d’une remise est totalement différent d’un corner à l’entrée de la surface pour une tête directe. On vous laisse lire l’article en entier pour plus de détails sur ce sujet.

Le corner de l’arroseur arrosé, tel est pris qui croyait marquer

Vient alors le problème des contre-attaques tant redoutées. Si on estime que le corner est un coup de pied arrêté censé (ré)compenser une action offensive non décisive, alors sa faible efficacité ainsi que l’exposition infligée à l’équipe qui le tire, permet de douter de son intérêt. Christophe Kuchly explique bien le danger que peut générer un corner pourtant en sa faveur :

« Un match a mis en lumière l’autre inconvénient de tirer les corners directement, à savoir la transition qui les suit. Dans le Hoffenheim-Bayern de vendredi, Leon Goretzka (pour le 0-2) puis Nico Schulz (pour le 1-2) ont chacun marqué sur l’action suivant une tentative adverse. Rappelant ainsi les derniers instants du match Belgique-Japon de cet été, où la volonté de marquer le but de la qualification s’était retournée contre les Japonais.

Beaucoup moins inhabituelle qu’on ne pourrait l’imaginer, notamment face à des équipes comme Dortmund ou le Real, la situation rappelle l’impossibilité de prévoir ce qui suivra une balle jouée au loin, dans une zone très peuplée. Une course commune vers le but sans que le cuir n’arrive et c’est la moitié d’une équipe qui peut être éliminée.

Les combinaisons n’enlèvent pas tous les risques, mais elles ont le mérite de fixer des joueurs à des endroits précis en automatisant les déplacements et en anticipant l’endroit où la possession pourrait être perdue. »

Si on ajoute à cela que les corners avec combinaisons sont plus efficaces offensivement, pourquoi ne pas faire un peu de prospective et imaginer la fin des corners ? On pourrait faire l’hypothèse du remplacement du corner par un nouveau type d’engagement. Repartir en phase de possession à partir du rond central avec ses coéquipiers dans le camps adverse ? En un sens, c’est peu ou prou ainsi que l’on joue les corners en Five… Ou pourquoi pas carrément introniser une ligne d’engagement, par exemple sur les halfspaces, en s’inspirant du hockey ?

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Points et lignes d’engagement au hockey sur glace

On peut imaginer bien d’autres choses : proposer un nouveau point de corner sur la ligne de touche mais à hauteur de la surface de réparation permettant une plus grande palette tactique, etc. Si le sujet vous amuse, n’hésitez pas à nous faire part de vos propositions et idées de réformes du football ! Et peut-être qu’un jour, nos enfants et petits-enfants nous demanderont sur quelle phase de jeu Zidane a marqué son doublé…

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