Les sots à l’élastique : inculquer l’harmonie

Le 19 janvier 2012 - Par qui vous parle de Tags : ,

Sans vouloir faire offense aux velléités démocratiques de Socrates (paix à son âme), le football totalitaire se veut lui aussi une utopie footballistique en faveur du beau jeu, fût-elle menée le flingue contre la tempe. Car le football totalitaire ne refuse pas le beau jeu, bien au contraire. Il l’accepte comme un cousin dans le besoin et l’accueille chaleureusement en son sein, dès lors que celui-ci accepte le plan qu’on lui destine.

On pourrait trouver paradoxal de vouloir lier discipline et créativité, mais ce serait faire erreur sur les définitions. Car avant d’être une litanie de passes improbables et de gri-gris insolents, ce à quoi les observateurs le résument trop souvent, le beau jeu désigne avant tout l’art de la cohérence collective. Ce qui rentre parfaitement sous la coupe du football totalitaire, vous en conviendrez. Le rigorisme est un autre romantisme, telle est notre devise.

Mais pour totalitariser le jeu d’une équipe, il faut au préalable travailler les joueurs au corps. Et c’est là que le football totalitaire prend tout son sens. Diverses exercices d’entraînement seront proposées dans ces colonnes, afin d’accompagner les coachs dans leur quête de perfectionnisme quant aux positionnements et combinaisons de leurs effectifs (exemple : interdire à un joueur de faire une passe à certain de ses coéquipiers). Pour l’heure, intéressons-nous à la base du beau jeu : l’harmonie collective.

Allégorie de l’effectif en cours de match (avant la mise en place de l’exercice)

Rubens – La ronde paysanne

Le concept

Le football total, dont le football totalitaire se veut l’héritier, se définit précisément par la mise en mouvement coordonné de l’effectif dans son ensemble. Dès lors, pourquoi ne pas pousser la logique plus loin, et inscrire cette coordination dans l’ADN de l’effectif ? Tous les coachs vous le diront : il n’est pas rare de devoir pester contre un joueur qui ne participe pas comme il devrait aux phases offensives / défensives de l’équipe. Comment lui inculquer les bonnes manières, et faire de lui le génie du placement harmonieux qu’il n’a jamais été ?

Réponse : en le formatant, à l’entraînement, pour qu’il ne soit jamais trop éloigné de ses partenaires. L’idée, aussi simple que révolutionnaire (ou pas) : relier les joueurs à l’entraînement par un jeu d’élastiques, et concrétiser ce fantasme de l’équipe idéale que décrivait le camarade Michel Panini :

Lorsque les 11 joueurs se déplacent comme reliés par un fil élastique invisible, c’est là qu’on se rend compte qu’on atteint la perfection du sport collectif.

A bien y regarder, il ne s’agit donc que de matérialiser une métaphore abondamment utilisée par les spectateurs, c’est-à-dire de conscientiser un processus intellectuel que tout joueur se devrait d’avoir, en l’habituant à ne jamais se tenir trop éloigné de ses partenaires en fonction de son poste. C’est ce que nous avons baptisé « l’élasto-dépendance ».

Après tout, on utilise déjà des élastiques pour former aux dribbles, pourquoi ne pas en utiliser pour le jeu sans ballon ? D’autant que d’autres sports (rugby, football américain, voire peut-être le foot) utilisent des élastiques dans le cadre de leurs entraînements musculaires. Au football de rattraper son retard en la matière, en misant sur ce qui fait sa spécificité : la science du placement zonal.

La méthode

Prenez autant d’élastiques que vous souhaitez faire de combinaisons de joueurs, la taille étant variable (par nature) selon les besoins et les postes visés. Par exemple, un élastique entre deux joueurs de couloirs devra en théorie être plus lâche, de manière à laisser l’arrière-latéral occuper défensivement son couloir – mais pas trop quand même. A l’inverse, un élastique reliant deux milieux de terrain (par exemple, un milieu défensif et un milieu relayeur) se devra logiquement d’être plus court. Plus globalement, tout élastique « vertical » aura tendance à être plus long qu’un élastique « horizontal » (deux défenseurs centraux, deux attaquants).

Évidemment, il est possible de relier plus de deux joueurs, même si la tâche se complique inévitablement. Cela peut par exemple servir à optimiser les triangulations chères à la scientologie catalane, maintes fois imitées mais jamais égalées. Autre utilité possible : entraîner une ligne de trois joueurs, avec les vertus qu’on imagine dans l’apprentissage accéléré de la maîtrise du hors-jeu chez les défenseurs, ou du pressing coordonné chez les attaquants. On pourrait même pousser l’exercice à des lignes de quatre, mais ce serait tout de suite plus compliqué.

Tout dépend finalement de la formation choisie. Certaines combinaisons de joueurs ont évidemment plus ou moins d’intérêt selon qu’on joue en 4-4-2, en 3-4-3 ou en 4-2-2-3-1-2. Aux coachs de décider des duos (ou trios, ou plus si affinités) qu’ils veulent faire travailler ponctuellement ou sur le temps long, en tenant bien évidemment compte des disparités de vitesse.

« La manita dans la manita », représentation figurative de la coordination de l’effectif (trois mois après la mise en place de l’exercice)

Janmot – Poème de l’âme #13 : « Rayons de soleil »

Les résultats

Vous l’avez compris, l’objectif n’est pas de remplacer l’intelligence de placement des joueurs et leur autonomie sur le terrain durant un match, mais de les aider à développer cette science de la coordination en l’inscrivant au fer rouge dans leur inconscient. De sorte qu’une fois en match, ils n’aient pas besoin de réprimandes pour savoir où se placer lorsque leur partenaire fait une saillie dans un couloir, ou entame un pressing au milieu de terrain.

Et sur le terrain, tout est dès lors plus beau, plus doux, plus pipou. Du moins, on le suppose. Car n’ayant pas d’équipe à disposition, il faudra donc me croire sur parole, ou me donner une équipe à entraîner (je fais aussi les Bar Mitzvah).

Autre avantage non-négligeable, les exercices à élastiques permettent de ludifier les entraînements, malgré leur apparence relativement stricte. Source infinie de LOL pour des joueurs qui ne sont finalement que de grands enfants, les chûtes occasionnées par le difficile apprentissage de l’élasto-dépendance garantira des entraînements dans la joie et la bonne humeur.

Enfin, impossible de parler de cette exerce sans évoquer ce qui se fait de mieux en la matière. Finalité ultime de tout coach qui souhaiterait totalitariser son jeu : égaler le multi-pentacle catalan, qui représente actuellement l’apothéose du football totalitaire (Pep, ce cher leader qui s’ignore). Le schéma de la cryptologie barcelonaise, décryptée par le grand Footballologue, donne une idée relativement exhaustive des élastiques qu’il est possible de mettre en place dans le cadre d’un entraînement. Attention, ne pas tenir compte des distances : une élasto-dépendance entre Sergio et Fabregas semble ainsi plus intéressante à développer que celle qui relierait le premier à ses compagnons de défense. Inversement, un relation Messi-Sanchez mériterait d’être approfondie, la relation Messi-Xavi-Alves ayant déjà largement fait ses preuves.

« Le symbole est au sentiment ce que l’allégorie est à la pensée », Alain Fournier (démerdez-vous avez ça)

Mais d’ici à ce que Ben Arfa accepte un tel entraînement, on a le temps de craquer tous les élastiques de nos slips moulants.

4 commentaires

  • Entre les vannes et les choix iconographiques on perçoit le malade mental fan de parades militaires.

    Le souci de cette brillante idée fondée sur le déplacement, c’est qu’elle est dépendante d’un sur-joueur, coordinateur sur le terrain du mouvement collectif (Cruijff) ou dynamiteur occasionnel de combinaisons fluides mais trop prévisibles (Messi).

    Le choix de la ronde pour illustrer ta théorie est en fait assez révélateur de l’impasse butale qu’elle engendre.

    Et je ne parle même pas de Francis Llacer.

  • Eh ben Rubens aurait peint de tableau en une journée (hors détails), grâce à ses médiums ultra-rapides. C’est dingue, non ? Je sais que ça n’a rien à voir mais j’avais envie de le dire.

    • Tu m’en apprends une belle, même deux : j’avais oublié ce sens originel du « médium », donc j’ai mis du temps à comprendre ta phrase, le temps de comprendre que tu ne parlais pas d’un maraboutage à l’huile… Et puis, te voir ici, m’apporte un de ces bonheurs, si tu savais !

Répondre à Philippe Gargov

19 janvier 2012

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