Football moderne : combien de divisions ? (LeMonde.fr)

Le 21 juin 2012 - Par qui vous parle de , , Tags : , , , , , , , , , , , , ,

Troisièmes Chroniques tactiques, rédigées LeMonde.fr, et consacrées au bilan du premier tour avant l’entame des matchs éliminatoires. L’article original est à (re)lire ici

Le premier tour enfin s’achève. Un début de compétition plutôt plaisant qui, à défaut de rebondissements majeurs, aura su doucement rebattre les hiérarchies établies. De même, sur le plan tactique : pas de grands bouleversements, mais quelques touches d’audaces et autres remises en question qui, une fois cumulées, offrent un panorama relativement fidèle des grandes orientations que prend le football moderne. Nous en avions déjà brossé quelques unes en préliminaires de la compétition, ce bilan de mi-terme viendra donc affiner ces réflexions avant les matchs couperets, et leur lot de (vraies) surprises.

L’Italie en 3-5-2 : vraie-fausse surprise, vrai-faux succès

Premier secteur concerné, la défense aura surtout été marquée par le retour au plus haut niveau d’un 3-5-2 aux allures vintage, porté par une Italie séduisante et décomplexée. Une formation « surprise » mais paradoxalement attendue, dont nous annoncions la probabilité avant la compétition. Avec deux matchs nuls (1-1), le bilan reste toutefois plus mitigé qu’espéré. Le système aura à la fois démontré son potentiel défensif contre l’Espagne, mais aussi ses limites offensives contre la Croatie.

Pour le troisième match, contre l’Irlande, Prandelli avait logiquement préféré revenir à un système plus classique en 4-1-3-2, le retour de Barzagli lui permettant de replacer l’héroïque De Rossi à son poste habituel. Ce qui n’aura pas empêché ce même De Rossi de redescendre très bas pour de jouer les soupapes de sécurité en défense, dans un rôle de « parachuté » qu’il avait déjà occupé avec la Roma de Luis Enrique.

Le libéro, libérateur des latéraux ?

On retrouve ici l’une des grandes tendances des défenses actuelles : la « réinvention » du libéro, notamment réhabilitée par Guardiola à travers son utilisation de Busquets (et, dans une moindre mesure, de Yaya Touré), ou encore le Brésil tant décrié de Dunga. Le concept est simple, mais requiert un milieu défensif particulièrement compétent. Car dans un système à quatre défenseurs, celui-ci se positionne en effet particulièrement bas, de manière à soutenir les deux axiaux lors des montées des latéraux. L’équipe prend alors des allures de 3-5-2 dans le cas italien, ou de 3-4-3 dans le modèle catalan, avec une forte projection vers l’avant des latéraux et/ou des ailiers. Contre l’Irlande, De Rossi aura ainsi pallié les très bonnes percussions de Balzaretti, particulièrement actif sur son flanc gauche.

Mais prenons le problème à l’envers. En miroir, le parachutage d’un milieu favorise la montée des latéraux, dès lors moins préoccupés par leurs obligations défensives. Or, c’est l’un des enjeux majeurs de cette Euro, tandis que nombre d’équipes souffrent d’un mal étrange, celui l’axialisation de leur jeu, et par corollaire l’incapacité à élargir l’équipe adverse.

Horizontalité, verticalité, latéralité

On l’a vu avec la France, contre l’Angleterre comme contre l’Ukraine – sans pour autant que cela ne soit préjudiciable, jusqu’à faillir contre la Suède. On l’a aussi et surtout vu avec l’Espagne, désespérée de ne trouver la faille contre l’Italie, puis la Croatie, et devant se reposer sur les coups de génie de ses lutins pour marquer en fin de match. Mais en termes d’occasions franches, les rentrées de Jesus Navas dans ces deux matchs auront indubitablement contribué à changer la donne, ouvrant notamment nombre d’espaces à Torres – qui aura certes mis du temps à concrétiser les offrandes, mais qui aura eu le mérite de les générer.

Le milieu « parachuté », en permettant l’ouverture des flancs, permettrait ainsi d’équilibrer les équipes en panne de latéralité. Pourquoi Laurent Blanc ne confierait-il pas ce rôle à Diarra, afin d’électriser ces flancs français qui demeurent encore inoffensifs ?

En outre, cela permettrait à M’Vila, de se projeter davantage vers l’avant, sans craindre d’abandonner son arrière-garde. Contre la Suède, l’horizontalité de son jeu aura en effet mis l’attaque française dans l’embarras, elle qui repose désormais sur la capacité des milieux à pénétrer les brèches ouvertes par son quatuor offensif, à l’image de Cabaye contre l’Ukraine.

Sans attaquant, ou avec trop d’attaquants ?

C’est l’un des grands paradoxes de cette Euro 2012, mais aussi l’autre vraie-fausse surprise tactique observée. Certes, on s’attendait à voir le football sans attaquant se révéler au grand jour. Mais on ne l’attendait pas dans ces proportions. Si l’Espagne a montré la voie contre l’Italie, dans un match qui restera donc une ode aux stratégies iconoclastes, elle se sera vite ravisée pour préférer une vraie pointe, avec succès. Pour autant, d’autres équipes ont continué à alimenter le débat : peut-on jouer sans attaquant devant les buts ? Le dézonage de Benzema a évidemment fait couler l’encre hexagonale. Mais nos Bleus ne sont pas les seuls.

Exemple notable, le placement de Kerzhakov avec l’équipe de Russie de Dick Advocaat, qui s’inspire ici de l’usage qu’en fait de l’entraîneur du Zenit Saint-Pétersbourg Spaletti, considéré comme « l’inventeur » du football sans attaquant avec le 4-5-1-0 qu’il avait développé à la Roma autour de Totti. Alors qu’il est censé être buteur, Kerzakhov n’a de cesse de décrocher pour attirer à lui les défenseurs et milieux défensifs, jouant en pivot plutôt qu’en buteur afin d’ouvrir la voie aux montées de Dzagoev et ses compères du Zenith, Arshavin et Shirokov, voire Zyryanov et Denisov.

On remarquera d’ailleurs que le nombre de ballons touchés par Kerzhakov semble directement proportionnel aux résultats de son équipe, signifiant l’extinction de la Russie dans cet Euro qu’elle avait pourtant si bien commencé.

Mais comment ne pas faire le parallèle avec l’extrême opposé ? Les Pays-Bas, eux aussi, auront considérablement déçu leurs supporters. En misant sur un renforcement offensif frisant l’absurde, les Oranje n’auront démontré qu’une chose : le football moderne n’est rien sans une véritable assise défensive au milieu. En se passant des services de van Bommel contre le Portugal, van Marwijk a mis son équipe en péril, obligeant de Jong à courir comme un dératé pour limiter seul les offensives adverses, bancalement suivi par un van der Vaart dont ce n’est proprement pas le rôle.

Dans cette perspective, la question de la réussite d’une équipe ne se pose pas tant en nombre d’attaquants sur le front. Mais bel et bien en termes d’équilibres sur le terrain, savamment dosés entre les différentes dimensions qui régissent le football : flancs contre axe, attaque contre milieu contre défense, horizontalité contre verticalité, décrochages contre positions. Un BA-ba à montrer dans toutes les écoles d’entraîneurs, tant on tend parfois à l’oublier.

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