Euro 2012 : le grand bluff tactique en finale? (LeMonde.fr)

Le 1 juillet 2012 - Par qui vous parle de , , Tags : , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

La finale commence dans une petite heure… Petit exercice de prospective tactique. Le billet original est à lire ici. En vous souhaitant un bon match ! 

Le dénouement tant attendu approche, et avec lui son lot de satisfactions. Cet Euro 2012 fut un bon cru, tant sur le plan du jeu que de la tactique, malheureusement occulté par la capacité de nos commentateurs à se focaliser sur les affres françaises. L’Espagne et l’Italie se retrouveront donc dimanche pour une finale 100 % latine, et 50 % attendue. Si les deux formations faisaient évidemment partie des favoris d’avant-tournoi (dans une moindre mesure pour l’Italie), cet apex dominical vient aussi et surtout récompenser les deux équipes tactiquement les plus innovantes de la compétition.

Jeu sans attaquant côté espagnol, défense à trois côté italien : leur première rencontre, en poules, avait d’ailleurs donné lieu à l’un des plus beaux matches de la compétition (aux côtés d’Italie-Croatie, Angleterre-Italie ou encore l’Allemagne-Italie d’hier soir, comme c’est étrange !). La donne sera certainement différente ce dimanche, et dépendra des possibles lapins que sortiront les entraîneurs de leurs chapeaux. Plus que jamais, la victoire reposera sur la capacité des équipes à répondre aux tactiques déployées par l’adversaire, de la composition d’avant-match aux remplacements effectués par les entraîneurs en cours de partie. En schématisant, tout dépendra plus précisément de trois facteurs majeurs :

  • comment bloquer l’attaque espagnole ?
  • qui pour occuper cette attaque espagnole ?
  • comment gêner les « créateurs » ?

Si les deux premiers points ont déjà été traités dans les précédentes chroniques, et ne seront donc ici que partiellement balayés, le troisième a démontré toute son importance lors de ces demi-finales, et sera certainement décisif dans cet épilogue.

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LÉGENDAIRE DÉFENSE ITALIENNE

Il est triste que l’Italie, seule équipe majeure à jouer avec deux véritables attaquants et qui pousse même lorsqu’elle mène 2-0 contre l’Allemagne, en soit encore réduite à ses clichés cadenassés. Cela ne signifie pas, pour autant, que la solidité italienne soit une légende usurpée. Au contraire, la défense italienne a largement su prouver ses qualités tout au long du tournoi, le plus impressionnant restant peut-être cette adaptabilité qui la rend d’autant plus difficile à contrer.

Exemple hier soir, avec le repositionnement de la révélation Balzaretti sur le côté droit. S’il s’était montré particulièrement bon dans son couloir gauche, notamment en phase offensive (par exemple contre l’Angleterre), le match d’hier aura davantage souligné ses qualités défensives, bloquant efficacement la dangereuse alliance Lahm-Podolski.

Cartographie de positionnement de Balzaretti contre l’Angleterre

Cartographie de positionnement de Balzaretti contre l’Allemagne

La donne sera bien différente contre l’Espagne, qui débutera certainement sans véritables ailiers – sauf surprise et titularisation d’un Pedro, par exemple. Si Abate est rétabli pour la finale, Prandelli disposera de cinq défenseurs de talent et pourrait, pourquoi pas, les aligner ensemble sur le pré. Les latéraux occuperaient ainsi toute la verticalité des couloirs, maillon faible des Espagnols qui rechignent à s’y plonger (du moins jusqu’aux entrées de Navas ou Pedro).

Mais quel que soit le dispositif, De Rossi y sera comme un élément-clé, en libéro « parachutable » pour couvrir les montées des latéraux, soutenir ses partenaires acculés et leur offrir des solutions de relance dans l’axe. Par corollaire, peser sur De Rossi revient indirectement à peser sur sa base arrière. Pour gêner l’Italie, l’Espagne devra donc gêner au maximum le Romain dans ses tâches défensives ; c’est ici qu’un « faux numéro 9 » tel que Fabregas peut être utile, l’obligeant à rester éloigné de ses défenseurs.

UNE NOUVELLE SURPRISE ESPAGNOLE ?

Qui occupera le front de l’Espagne ? C’est évidemment une inconnue majeure de l’équation, du moins la plus propice aux débats enflammés. On l’a vu tout au long du tournoi : l’Espagne a su jouer avec ses compositions pour ainsi faire déjouer les défenses adverses. Lors de son premier match, justement contre l’Italie, Del Bosque avait créé la sensation en titularisant Fabregas en faux numéro 9 ; une vraie-fausse surprise – et une vraie-fausse réussite –, que l’entraîneur avait légitimée en réponse à la composition à trois défenseurs annoncée par l’Italie avant le match.

Pour autant, difficile de savoir s’il réitérera dimanche. Il est même plus probable qu’il prenne une nouvelle fois le contre-pied des expectatives, comme il l’avait fait contre le Portugal en titularisant Negredo, qui n’avait pourtant presque pas joué du tournoi. Ce fut un échec, la faute à des créateurs bien gênés par les milieux lusitaniens, mais Del Bosque a plus d’un tour dans sa moustache, et dispose d’une impressionnante palette offensive pour composer son équipe :

  • Fabregas, qui pourrait être utile contre trois défenseurs axiaux en gênant De Rossi, voire Pirlo si ses partenaires suivent bien ses mouvements ;
  • Torres, qui avait considérablement perturbé la défense italienne lors de sa rentrée en joker de luxe, et qui pourrait aider à contenir assez bas leur ligne défensive pour étirer le bloc-équipe ;
  • Negredo, dont la complétude pourrait permettre de combiner ces deux rôles ;
  • ou surtout le désirable Llorente, qui n’a toujours pas joué du tournoi, mais dont les qualités dos au but seraient parfaites pour le jeu espagnol. A Bilbao, son corps est ainsi mis à profit pour immobiliser un voire deux défenseurs, et ainsi permettre à ses partenaires de s’engouffrer vers le but. Iniesta, Fabregas voire Xavi pourraient y trouver des brèches de qualité, alimentées par les talents de passe dont dispose le reste de l’équipe.

LES CRÉATEURS PRIS POUR CIBLE

Ces milieux seront au cœur du match, et cela vaut évidemment pour l’Italie. Pirlo contre Iniesta. Iniesta contre Pirlo. Dans ce match qui décidera, peut-être, du prochain Ballon d’or, s’opposeront donc les plus grands architectes-urbanistes de notre temps. Ces deux-là ont une capacité à organiser l’espace mieux que n’importe qui. Pour autant, est-il nécessaire de mettre toutes ses forces dans un pressing « exclusif » sur ces deux joueurs ? Rien n’est moins sûr. Si cette stratégie a été adoptée par nombre d’équipes lors des précédents matches, en particulier contre Iniesta, son efficacité est loin d’être démontrée.

Dans un cas comme dans l’autre, utiliser trop de ressources humaines pour gêner le créateur principal revient à laisser de l’espace à ses partenaires, qui peuvent alors se déployer vers l’avant : en Italie, De Rossi et surtout Montolivo, auteur hier soir d’une superbe passe décisive sur le second but de Balotelli ; en Espagne, Xavi et Xabi Alonso, voire même Busquets s’il se décidait enfin à révéler son plein talent offensif. Une solution a peut-être été montrée par le Portugal, qui avait choisi mercredi soir de marquer individuellement les trois milieux espagnols. Une stratégie à double-tranchant, qui aura considérablement contenu leur apport offensif, mais aura dans le même temps limité celui des Portugais eux-mêmes.

On préférera donc un marquage moins ciblé, en pesant davantage sur les créateurs reculés (Busquets, Xabi Alonso – De Rossi) afin de gêner leurs relances et ainsi fermer le robinet dès l’amont. Dans cette perspective, l’Espagne part avec une longueur d’avance de par sa palette offensive ; inversement, l’Italie pourrait peut-être reculer Balotelli d’un cran, en laissant Cassano en pointe, afin d’équilibrer les débats physiques avec le grand échalas Busquets. Ce serait un pari osé, compte tenu de son match d’hier, mais Prandelli n’en est pas à son premier coup d’audace. D’autant que dans ce match, plus que dans tout autre : tout se jouera au bluff.

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