Le 3-7-0 collé-serré / couper-décaler : préliminaires

Le 10 avril 2012 - Par qui vous parle de , Tags : , , , , , , , , , , , , , , ,

Décryptage d’une formation dédiée au culte de l’afro-beat : pour un jeu brut et saccadé, sur un rythme dansant et exalté… et surtout terriblement efficace.
Tactique testée avec succès dans Football Manager 12, et  garantie suffisamment performante pour aider Arsenal à conquérir un triplé virtuel Coupes-Championnat…
Cette tactique fait d’ailleurs particulièrement écho aux préceptes de Football Totalitaire, puisque lissant les individualités au profit d’une régularité exceptionnelle des performances collectives.

Ce premier épisode sera consacré aux préliminaires : le pourquoi du comment, et le comment du pourquoi. Un second épisode s’intéressera plus précisément aux résultats obtenus, avec notamment l’analyse d’un match type…

PRÉAMBULE

Les attaquants servent-ils encore à quelque chose ? La question anime les débats spécialisés depuis quelques années déjà, impulsés par la Roma 2007/2008 et son 4-6-0 virevoltant. En repositionnant Totti seul en pointe au poste de « faux numéro 9 », Spalletti avait su démontrer les multiples possibilités offensives ouvertes par ce changement de paradigme footballistique.

Quelques grands clubs s’en sont depuis directement inspirés en exploitant ce rôle de faux numéro 9 avec un certain succès : à l’image de Messi ou Rooney repositionnés en milieux relayeurs ; voire en se passant véritablement de buteur de formation, comme le PSG concocté par Ancelotti pour son premier match en championnat, avec Menez en position d’avant-centre… et repris ce week-end contre Marseille, avec le même acteur dans le rôle-titre.

Allégorie : le football de demain

Mais l’exemple le plus marquant reste sûrement le Barcelone modelé par un Guardiola surnaturel, avec un 3-7-0 resté dans les annales en finale de Coupe du Monde des Clubs gagnée 4-0 contre Santos. Par cette innovation tactique, Guardiola matérialisait une évolution naturelle du football moderne, permise notamment par la formation des joueurs qui favorise l’hybridation des postes et donc le délitement des typologies traditionnelles.

Les joueurs de haut niveau devant à la fois savoir attaquer, défendre, passer, presser, éviter le pressing (etc.), les spécificités de chaque poste tendent en effet à s’homogénéiser, permettant ainsi la recomposition des rôles au sein de l’équipe. Dès lors, pourquoi ne pas tirer partie de ce football balbutiant pour tenter d’ébaucher les contours possibles du football de demain ?

Faute d’équipe humaine sous la main, ce sont des joueurs virtuels qui m’auront permis d’expérimenter cette ambition. Après avoir testé un 5-5-0 bancal avec le Rayo Vallecano, c’est en Perfide Albion que j’ai posé mes valises d’entraîneur numérique. Avec un objectif : dépasser le 4-6-0 de Spalletti qui m’avait tant marquée, pour tenter un 3-7-0 inédit et intransigeant [ndlr : c’était en octobre, soit quelques semaines avant que Guardiola ne l’expérimente, pour mon plus grand bonheur].

Décryptage de cette composition et de sa philosophie de jeu, qui auront permis aux chétifs princes d’Arsenal de réaliser le triplé Championnat – Coupes nationales, malgré quelques difficultés à l’allumage.

Allégorie : deux coupes, un championnat : l’achievement est totale.

PHILOSOPHIE

Si le jeu en « faux numéro 9 » n’est plus une révolution en soi, la véritable innovation de ce 3-7-0 tient donc davantage dans les choix tactiques imposées à l’équipe, et plus particulièrement de la philosophie de jeu impulsée. Loin du jeu « léché » qui caractérise Arsenal, il a été décidé de privilégier les contres rapides, et donc l’abandon du ballon à l’adversaire.

Afin de limiter les dégâts en défense, tout en s’assurant une certaine probabilité d’actions de jeu (malgré le déficit de joueurs sur le front de l’attaque, donc), le choix a été fait de miser sur un pressing de tous les instants. Comme l’indique son surnom, ce 3-7-0 est donc basé sur une intense densification du milieu (le pressing « collé-serré »), afin de maximiser la récupération haute du ballon pour favoriser un jeu de contre ultra-rapides (le jeu de passes « couper-décaler »).

CONSIGNES

Cela implique aussi une stratégie de jeu extrêmement fluide, afin de permettre au bloc-équipe (et notamment aux milieux axiaux) de contre-attaquer particulièrement vite. De même, la consigne « Créer le surnombre » est une condition sine qua none pour pouvoir mettre des buts en envoyant les milieux vers le front de l’attaque dès que la balle est récupérée dans le camp adverse. Cela s’est d’ailleurs prouvé lors des premiers matchs, où la consigne était de contrôler le jeu : les quatre matchs nuls 0-0 d’affilée auront démontré le besoin d’une équipe plus intuitive et réactive, à l’opposé des traditions d’Arsenal.

Cela passe enfin par des choix tactiques essentiels : un jeu de passes court et rapide, quasiment instantané afin d’optimiser les contres ; ainsi qu’un bloc équipe particulièrement resserré grâce à une ligne de défense positionnée le plus haut possible.

Cela fait une énorme différence avec le 3-7-0 guardioliste, qui ne faisait « que » calquer le jeu traditionnel des Catalans (récupération rapide puis remise à zéro de la phase offensive, en repassant par les bases arrières), s’appuyant donc sur un contrôle totalitaire du ballon (sur ce sujet). L’enjeu est ici bien moins savant : récupération haute du ballon > passe ultra rapide vers l’avant > occasion de but. Il en résulte une possession de balle particulièrement faible pour une équipe de ce standing : 35% environ, même contre les équipes de moindre niveau, allant donc à l’encontre des préceptes traditionnels d’Arsenal. Exemples :

Victoire 3-0 à l’extérieur

Victoire 1-0 à domicile

Toujours dans cette perspective, les ailes sont quasiment abandonnées, avec un seul joueur pour couvrir chaque côté. Le jeu est donc logiquement axée vers l’axe central, plus fourni, en profitant de la qualité des techniciens de l’effectif (Arteta, Ramsey, etc.), ainsi que de quelques gros gabarits présents pour muscler l’entre-jeu (Fellaini acheté au mercato d’été, Chamakh, voire Van Persie)

Quelques choix plus accessoires mais non-négligeables sont venus maximiser le potentiel de ces décisions. Il en va ainsi du raccourcissement du terrain, en longueur comme en largeur, qui permet d’accentuer un peu plus le pressing exercé par les sept samouraïs du milieu, tout en limitant les possibilités offensives des équipes moins techniques qui usent et abusent du jeu direct. Enfin, ces consignes se traduisent logiquement dans les transferts effectués en début de saison avec le recrutement de Marouane Fellaini afin de permettre aux joueurs plus créatifs de délaisser les tâches défensives.

FORMATIONS

1. L’équipe-type : le 3-1-4-2-0 

– 3 défenseurs centraux parmi Mertesacker, Vermaelen, Sakho (recruté pour le plaisir), Djourou et plus rarement Koscielny.

– 1 milieu défensif jouant devant la défense : Alex Song, parfois épaulé par Fellaini lorsque l’attaque adverse est trop dense (cf. plus bas, l’option 3-2-3-2-0)

– 2 milieux latéraux ayant pour consigne de ne pas trop monter (afin de ne pas ouvrir trop les couloirs), ni de trop descendre (compte-tenu des nécessités offensives qu’impliquent une formation sans attaquant). Joueurs utilisés :

  • à gauche, Gibbs et Santos, parfois épaulés par Arshavin ou Rosicky en début de championnat avant une blessure fatale qui lui fera louper l’ensemble de la saison ;
  • à droite : Walcott épaulé par Arteta, Benayoun ou Arshavin selon la situation de l’effectif.
  • Note : ces postes ont clairement été les plus compliqués à gérer, compte-tenu de l’endurance extrême exigée. Résultat, les ailiers étaient épuisés après soixante minutes, et se blessaient bien plus régulièrement que leurs homologues axiaux.

– 2 milieux axiaux, l’un cantonné au contrôle du milieu (Fellaini, fidèle au poste), l’autre plus offensif et relayeur (Ramsey ou Arteta, rejoints par Wilshere ou Diaby une fois revenus de leurs longues blessures…)

– 2 « faux numéro 9 » positionnés en milieu offensif, avec Van Persie attaquant intérieur, soutenu par Park ou Gervinho et leurs qualités de percussion. La centralisation du jeu aérien de Chamakh, ce dernier a parfois joué le rôle de pivot permettant à l’équipe de monter sur les phases de longs ballons.

2. L’option à deux milieux défensifs : le 3-2-3-2-0

A côté de ces deux équipes-types (utilisées 44 fois sur les 50 derniers matchs !), d’autres formations ont aussi été tentées, avec plus ou moins de succès.

On remarquera que le 3-2-3-2-0 aurait peut-être mérité d’être un peu plus usité, compte-tenu de ses résultats contre les plus grosses équipes. D’autant plus que la symétrie des nombres est un totalitarisme en soi, ce qui n’est pas pour me déplaire…

Les premiers résultats de ce graphique sont assez prévisible : l’attaque reste relativement faible comparé aux autres équipes de même niveau (1,86 buts pour le 3-1-4-2-0), tandis que la défense révèle les friabilités de la formation (0,75 buts encaissés par match pour le 3-1-4-2-0).

Mais la véritable information se trouve dans la colonne de droite : si cette formation ne permet pas de surclasser les équipes de niveau similaire, elle garantit de faire jeu égal et donc de rester à flot contre les gros. Elle apparaît à l’inverse excessivement performante contre les équipes plus faibles… et c’est justement cette régularité des performances contre les petits qui aura permis à l’équipe de gagner le championnat, là où les poursuivants (Manchester United et Tottenham) auront subi quelques accrocs en fin de saison.

CONCLUSIONS LIMINAIRES

Le onze-type de l’année, malgré quelques petites choses faussées (le onze dépendant des notes moyennes), résume plutôt très bien les stratégies utilisées. On remarquera d’ailleurs la participation active des milieux de terrain au secteur offensif, en particulier axiaux : Ramsey, Arteta et Fellaini cumulent ainsi autant de buts que le meilleur buteur, qui en comptabilise d’ailleurs trèèèèèèèèès peu (16 buts pour le Coréen national, toutes compétitions confondues…). La comparaison avec les statistiques réelles d’Arsenal souligne parfaitement ce rééquilibrage des offensants, permis par le 3-7-0 couper-décaler.

Petit détail croustillant, on remarquera que l’ordinateur place Van Persie milieu central…

Le onze anal.

Pour information, Park est d’ailleurs le seul à apparaître dans l’équipe-type de la Premier League… sur le banc des remplaçant, preuve de la non-reconnaissances des individualités dans cette épopée pourtant auréolée de gloire.

Cette proportion des buts marqués (ce rééquilibrage vertueux de la gloire entre les joueurs ?) s’explique notamment par le faible nombre de buts marqués, comparés aux autres équipes du même niveau. Arsenal aura ainsi marqué 17 buts de moins que le second (Tottenham), et à peu près autant que le 4e (Chelsea), pour une défense équivalente.

Le second épisode permettra d’observer plus précisément le comportement des joueurs en situation de match, en prenant notamment l’exemple du match gagné 2-1 contre Chelsea, l’ennemi intime. On s’intéressera plus particulièrement à la mise en application des deux consignes fondamentales (#1 : collé-serré ; #2 : couper-décaler).

Pour un avant-goût : on remarquera le resserrement extrême du bloc-équipe, en largeur comme en longueur, positionné au niveau du rond central sur un dégagement du gardien :

To be continued…!

4 commentaires

  • cher Philippe,
    en tant que fan de géostratégie footballistique d’une part (et je vous rend grâce du concept et du manifeste qui va avec auquel j’adhère sans retenue si ce n’est la jalousie de ne pas l’avoir exprimé avant vous) et passionné de FM par ailleurs (et aussi de questionnements très « game studies » sur les relations entre FM et la vraie vie), je me permets de vous faire part de mon expérience de « tactical tinkering » sur FM.
    Il se trouve que j’ai été beta testeur pendant de nombreux mois sur feu FML (le MMOG basé sur FM). FML permet une répétition hallucinante de matches pouvant provoquer des cris d’extase chez un statisticien adepte du « number crunching ». par ailleurs, dans les gameworlds de test, les « Match engines » de FM y sont aussi testés au fur et à mesure de leur évolution. Tout ça pour dire, qu’il suffit de très peu de choses à modifier dans une version du Match Engine à l’autre (et les dieux du football savent que le match engine de FM est à la recherche permanente (et illusoire) d’un équilibre réaliste avec ses centaines de paramètres) pour qu’un schéma tactique hors des sentiers battus passe de lethal à inepte.
    ça ne veut pas dire que votre étude est sans objet, loin de moi cette idée et elle donne même envie de s’y plonger de nouveau, mais je suggérerais (au moment de soumettre l’article au Journal of Geostrategical Football) de préciser quelle est la version exacte du match engine que vous utilisez et surtout de ne pas en changer dans une autre exemple à fin de reproductibilité.
    KUTGW !

  • Article très intéressant, cependant j’ai une grosse réserve, même si vous avez appuyé dessus un tantinet, c’est la notion de l’espace.
    La densification du milieu de terrain est un cheval de bataille indispensable, mais même si beaucoup de précautions sont prises elles restent je pense trop désertées. Je trouve le poste des milieux latéraux beaucoup trop bancal. Même si la ligne médiane sert un peu de filet de secours, je ne sais pas si c’est viable (à moyen terme niveau virtuel ou réel) sans possession de balle. Parce que finalement c’est la possession qui permet et a permis à Guardiola de toujours retomber sur ses pattes. Dans la situation où ils n’ont pas le ballon et pressent beaucoup, on a une défense à 4 voire 5 si on ajoute Busquets, autrement dit les ailes ne sont pas négligées. Ou alors ma critique est sans doute due au fait que les tactiques à 3 défenseurs me repoussent vivement.
    Sinon j’adhère à 100% au concept, mis à part le Barça ces derniers temps il y a eu peu de grandes équipes pratiquant un beau football chatoyant, et un football si efficace et discipliné me plait énormément.

    • D’ailleurs, sur le sujet, ce beau papier : http://www.cahiersdufootball.net/article.php?id=4472

      Par contre, je confesse une passion pour la défense à trois, et ce malgré une passion encore plus grande pour les défenseurs. Mais justement, en fait, la défense à trois est une défense de purs défenseurs, et pas de latéraux qui courent partout (un profil de joueurs qui n’a jamais trouvé grâce à mes yeux, va savoir pourquoi !)

      • Le papier fait réfléchir. En tout cas après avoir vu la France jouer tout à l’heure, on peut voir assez clairement que la possession de balle n’implique pas forcément la création de danger, ni même d’occasions.

        Sans doute trouve tu (je me permets de te tutoyer) que le poste de latéral est trop ingrat, trop polyvalent, et finalement, pas assez « pur »…?
        Mais l’aversion que j’ai sur la défense à trois est sans doute aussi parce que je n’en ai jamais réellement vu, ou en tout cas vu une défense efficace à trois (je pleurais sur le 3-4-3 de Barcelone, malgré la différence d’équilibre et de philosophie par rapport au 3-5-2 que tu as présenté.)

Répondre à osvaldopiazzolla

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