L’Espagne, miroir du football de demain? (LeMonde.fr)

Le 3 juillet 2012 - Par qui vous parle de , , Tags : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

« This is the end… » Voilà, voilà : l’Euro est terminé. Pour autant, c’est maintenant que tout commence. Quel football pour demain ? Le match de l’Espagne, en finale, offre quelques éléments de réponse. Billet original à lire sur LeMonde.fr, qu’on ne remerciera jamais assez pour avoir accueilli ces cinq décryptages tactiques de l’Euro… 

L’Euro vient de se conclure sur une impressionnante prestation ibère. La Roja réalise donc un triplé historique qui, à défaut d’avoir été clinquant, aura souligné certaines mutations émergentes du football moderne. Outre son football dit « sans attaquant », déjà largement discuté dans ces chroniques tactiques, l’Espagne aura été le miroir d’un football moderne né de l’hybridation croissante des profils. Pour l’illustrer, nous avons choisi trois joueurs clés (et un bonus) s’étant illustrés lors de cette finale et qui contribuent par leur talent à redéfinir les prérogatives de leurs postes respectifs.

Lire la chronique « L’Euro 2012, un œil dans le rétro ? »

JORDI ALBA : L’ANGE SANS AILES

Le but du latéral gauche, lors de cette finale (2-0, 41e minute), fut un excellent résumé de son travail au sein de l’équipe ibère. Plus qu’un simple joueur de couloir, le néo-catalan s’est imposé comme palliatif au déficit espagnol en matière de véritable ailiers. Forte de ses créateurs extraterrestres, la Roja s’est en effet construite dans l’axe, avec le succès qu’on lui connaît, mais aussi les limites : maîtrise du jeu dans l’horizontalité mais, paradoxalement, incapacité à l’élargir véritablement.

Dans cette perspective, les entrées de véritables ailiers (Pedro, Jesus Navas) firent souvent office de détonateur en fin de partie, accompagnés d’un Torres chargé de peser sur la profondeur. Le reste du temps, c’est-à-dire l’essentiel des matches, ce rôle incombait donc à l’une des plus grandes révélations de cet Euro 2012 : Jordi Alba, dont le match contre l’Italie témoigne parfaitement de la dualité de son rôle : pur latéral dans sa moitié de terrain, il se dévoile bien plus pénétrant dès lors qu’il s’engouffre, dans l’axe, au sein des trous adverses.

Si le rôle des latéraux est habituellement d’occuper – dans la mesure du possible – l’ensemble de leur couloir, afin d’apporter un surplus offensif pour centrer, le jeune Jordi Alba met donc sa technique et sa vitesse à profit dans l’axe. Paradoxal, si l’on considère que l’Espagne joue sans véritable ailier et aurait donc tout intérêt à combler ce vide. Mais finalement très logique, au sein d’une formation « sans attaquant » où les perforateurs sont nécessairement multiples, et alternent en fonction des espaces laissés dans l’axe par l’adversaire : Fabregas, « Xaviniesta », Silva, et donc Jordi Alba lorsque s’entrouvre la défense adverse.

A lire sur L’InstantX : « Jordi Alba, quand une adaptation stratégique en club change le destin d’une nation »

XABI ALONSO ET ALOU DIARRA : MÊME COMBAT

Dans cette formation, l’imprévisibilité offensive est reine. Pour autant, pas question de tolérer le hasard en phase défensive : lorsqu’il monte, Jordi Alba est notamment protégé par Xabi Alonso, à défaut de pouvoir permuter avec un ailier du même bord. On connaît de Xabi ses passes merveilleuses, dignes d’un Pirlo ou d’un « Xaviniesta » ; on oublie pourtant qu’il est, et doit rester, un milieu défensif.

Cette couverture par un milieu défensif dans le couloir (gauche) s’est aussi observée chez l’une des autres révélations de cet Euro : le latéral gauche Balzaretti, dont l’Italie aura pu apprécier l’impact après la sortie de Chiellini sur blessure (21e), particulièrement bien couvert par De Rossi lors de leurs matches en commun. A l’instar d’un Jordi Alba, Balzaretti a su apporter à l’attaque ses qualités individuelles sans mettre en danger son équipe, grâce à ses bases arrière.

Lire la chronique « Football moderne : combien de division ? » 

Un rôle hybride de latéral-faux ailier dont la France pourrait s’inspirer, lorsqu’on constate que nos latéraux traditionnels (Evra et Clichy à gauche, Debuchy à droite) n’ont jamais su vraiment porter le danger vers l’avant. Pour cela, un duo de milieux défensifs apparaît indispensable, l’un restant dans l’axe et l’autre couvrant le couloir laissé vide. On l’a aussi observé avec la paire Khedira-Schweinsteiger (couvrant notamment les montées de Lahm), par exemple, et plus généralement dans toutes les équipes jouant en 4-2-3-1 avec de faux ailiers.

Or, c’est précisément ce qui a manqué contre l’Espagne, avec cette cruelle absence de Diarra remplacé par le plus téméraire Malouda. Loin d’être la stratégie défensive que l’on suppose, un duo de milieux peut donc servir les intérêts offensifs de l’équipe, en particulier dans ses pénétrations vers l’intérieur.

BUSQUETS, GÉNIE INCOMPRIS

Comme tant d’autres avant lui, les milieux défensifs possèdent un rôle ingrat. Si De Rossi, par son charisme et son talent, a su s’imposer dans l’entre-jeu défensif aux côtés de Pirlo, maître à jouer de cette fabuleuse équipe italienne, d’autres ne gagneront peut-être jamais cette estime ; la faute sûrement à un pouvoir de séduction déficient. Ainsi, Busquets est probablement le plus grand joueur « bâtard » de ce football contemporain : indispensable à ses formations respectives, mais dénigré par le grand public, faute de passes spectaculaires et de quelques fourberies malvenues. Il est pourtant l’un des plus grands génies de ce football moderne, comme le rappelle à raison ce dithyrambique article publié sur So Foot. Ce n’est pas sans surprise s’il a déjà, à 23 ans, tout gagné sur la planète football.

Les statistiques de Busquets lors de cet Euro sont tout simplement inhumaines, malgré une faible influence sur la finale en raison d’une adversité limité (il est toutefois à l’origine du quatrième et dernier but espagnol). En témoigne son match contre le Portugal, entre autres, où il a excellé en tant que premier bouclier face aux assauts adverses, vital dans la préservation du score vierge.

Surtout, l’échalas catalan a contribué à redéfinir le rôle d’un milieu défensif, sous l’égide de Pep Guardiola, au point de donner son nom à un profil de joueur : on parle ainsi du « Busquets Role », à l’instar du « Makelele Role » invoqué quant aux performances londoniennes du milieu français. Un rôle de joueur défensif et pourtant complet à l’extrême, devant à la fois intercepter, tacler, presser, mais aussi passer, éviter le pressing, tenir le ballon, voire participer aux tâches offensives. On doit d’ailleurs avouer avoir tremblé lors de la seule montée du catalan lors de la finale (voire du tournoi ?), malheureusement avortée par une dernière passe ratée.

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CASILLAS, PLUS QU’UN REMPART

Un latéral et deux milieux défensifs : évidemment, l’Espagne ne s’est pas construite que sur ce trio, mais il témoigne de qualités certaines dans les secteurs arrière. On avait déjà dit combien il était important de presser ces joueurs dans leur ensemble, en particulier le trio Busquets-Alonso-Xavi, plutôt que cibler un créateur précis (Iniesta). Prandelli n’a pas souhaité faire ainsi, avec les conséquences que l’on connaît.

Lire la chronique « Le grand bluff tactique en finale ? »

Il ne faudrait pas oublier, dans ce succès défensif, le rôle de Casillas. Encore une fois magnifique sur cette finale, il mériterait largement de remporter le Ballon d’or 2012, fort d’une saison exceptionnelle avec Madrid et la Roja. Un Ballon d’or attribué à un gardien qui viendrait récompenser celui injustement dédaigné à Buffon en 2006, son adversaire d’un soir. Le dernier but encaissé par Casillas en match éliminatoire remonte d’ailleurs précisément à 2006, sous le pied d’un certain Zidane… C’est dire si cette Espagne est un monstre de rigueur, miroir – aussi – d’une football qui ne (se) laisse plus le droit à l’erreur.

11 commentaires

  • Salut, tout d’abord j’aimerai vraiment te féliciter pour ce blog très instructif. Je trouve l’idée tout simplement génial (en particulier « les causeries » puisque ça dénote vraiment les idées du moment), bravo.

    Je me posais également une question (qui n’est pas en rapport avec l’article ci-dessus), tu ne penses pas à devenir consultant ou quelque chose comme ça ?

    Merci.

    • A vrai dire ce n’est pas mon métier d’origine et je ne pense pas avoir encore suffisamment de légitimité dans le milieu, mais j’y pense, j’y pense forcément… et je répondrai présent si on m’appelle, bien sûr ! Mais ce sera sûrement sur un autre modèle que celui des consultants traditionnels, il faudrait trouver un nouveau créneau…

  • Où l’on apprend que le latéral peut repiquer dans l’axe et que le milieu défensif doit couvrir les montées de ce dernier. Un peu léger s’il s’agit de « redéfinir les prérogatives de leurs postes respectifs ».
    On apprend aussi que Busquets est capable « d’intercepter, tacler, presser, mais aussi passer, éviter le pressing, tenir le ballon, voire participer aux tâches offensives ». Whaou ! Pour les 2 dernières je pense que c’est un peu exagéré. Busquets est un très bon joueur de foot, intelligent comme il se doit, mais je crois pas qu’il ait ce rôle sur le terrain. Il récupère, anticipe, s’impose, fait une passe courte vers l’arrière ou l’avant. C’est à peu près tout. Je ne dénigre pas son rôle mais je vois pas une grande différence avec ce que faisait Makélélé. Je ne vois surtout pas de révolution tactique.
    Forcément le meilleur pour la fin. Un gardien, autre que Lev Yachin, méritera le ballon d’or, le jour où il aura autant modifié le rôle du gardien de but que lui. A la limite il pourrait être attribué à Buffon pour avoir perdu aucun match cette saison excepté le dernier.

  • http://www.youtube.com/watch?v=ijDdpNxPyPU

    Dans cette vidéo on voit tout ce que fais Busquets. Dans son analyse de l’action, Busquets innove, aucun milieu défensif ne joue un rôle aussi invisible que lui. Cruyff disait d’ailleurs qu’on sait si un milieu défensif à fait un bon match si on l’a remarqué ou non. Busquets c’est exactement ça, c’est un joueur fantôme, il libère ses partenaires par des feintes de corps ou de passe et permet immédiatement le lancement de l’action.

    La différence avec des milieux type Makelele, c’est que lui ne passe pas le ballon au joueur le plus près de lui en se contentant d’attendre la prochaine offensive. Il fait le choix de comment va se dérouler l’action en cherchant l’intervalle avec Messi, combinant à une demi touche avec Xavi, ou en jouant avec ces centraux (en se replaçant dans un schéma à 3 permettant ainsi aux latéraux, notamment Alves, de monter) et en aspirant les attaquants adverses. Xavi est le principal cerveau du Barça mais s’il fallait en définir un autre, ce ne serait ni Iniesta ni Messi mais bien Busquets, sauf que lui est totalement invisible dans tout ce qu’il fait.

    Pour le coup, Busquets fait quelque chose que Guardiola faisait comme joueur (sauf que lui était vraiment le leader au milieu), que faisait Redondo dans une bien moindre mesure et que font certains milieux italiens (mais dans des configurations tactiques totalement différentes, à savoir ce milieu à 3 avec deux pitbulls et un véritable manieur de ballon : Gattuso, Pirlo et Ambrosini par exemple). Bref, depuis Guardiola aucun milieu défensif pur ne jouait de la sorte, mais l’ancien capitaine catalan ne s’effaçait pas de la sorte.

    Pour ce qui est de l’obtention du Ballon d’Or par un gardien de but, je ne vois pas pourquoi il devrait révolutionner le poste d’autant qu’aujourd’hui on a à priori fait le tour (le gardien libéro est d’ailleurs l’une des seules évolution nottable, que peut-il faire d’autre ?). Ca ne me choquerait pas que Casillas ou Buffon remporte cette récompense (enfin si un peu parce que je pense que Messi écrase tellement le sport qu’il doit être récompensé chaque année, d’autant que comme ça a été développé par Florent Toniutti, il a inventé un nouveau rôle) non seulement pour tout ce qu’ils ont accompli mais aussi pour leur fantastique saison (même si Casillas en a connu de meilleurs -notamment 2008- il fait le doublé Liga-Euro).

  • L’équipe espagnole a montré dans cette finale l’avance qu’elle avait sur les autres nations. La maîtrise collective est poussé à son maximum. Comme indiqué dans l’article, le rôle de Busquets est primordiale dans cette équipe et, bien sûr, au Barca.

  • @ Jax
    En quoi le rôle de Busquet est différent de celui de Yaya Touré? En rien. Des défensifs avec ce rôle devant la défense ça existe depuis des lustres. Pardo avec Goethals c’était la même chose par ex.

  • Yaya Toure n’est pas un milieu défensif, ça n’est qu’au Barça qu’il a joué dans ce rôle; que ce soit avant ou après son passage au Camp Nou, il a toujours joué plus haut sur le terrain (comme relayeur voire numéro 10). S’il n’y avait aucune différence entre Busquets et Touré sur un terrain, je ne crois pas que Pep Guardiola (anciennement grand joueur du poste et fin tacticien) aurait laissé partir l’Ivoirien qui est plus solide, plus athlétique et qui apporte beaucoup plus de danger offensivement (je t’invites à lire ça : http://www.fcbarcelonaclan.com/actu/yaya-toure-analyse-d-un-phenomene/8165.html). Non Touré ne peut pas faire du Busquets car il n’a pas la science du placement de l’Espagnol, il n’a pas ce sens tactique, ni la vision du jeu de Busquets. Touré est beaucoup trop « fou fou » pour être milieu défensif, ça a marché au Barça mais dans l’absolu, il laissait des brèches énormes au milieu et en défense.

    Je ne connais pas le joueur dont tu as parlé donc je ne peux pas répondre. Mais un milieu défensif avec autant de science du jeu et de QI football (pour reprendre l’expression de Riolo) c’est rare voire inédit.

  • « Yaya Toure n’est pas un milieu défensif »
    Et alors? Il a montré sa polyvalence et a remarquablement tenu son rôle.

    « que Pep Guardiola (anciennement grand joueur du poste et fin tacticien) aurait laissé partir l’Ivoirien »
    Ce n’est peut-être pas un problème de tactique. Etoo est parti alors qu’il était parfaitement adapté à son poste.

    « Touré est beaucoup trop “fou fou”
    Avis tout à fait personnel qui ne repose que sur une impression.

    « ça a marché au Barça mais dans l’absolu, il laissait des brèches énormes au milieu et en défense. »
    Ca, il faudrait le démontrer. Sur les nombreux matchs du Barça avec Touré que j’ai vu l’équipe ne m’a pas paru être plus vulnérable en défense (faudrait voir les stats). Disons que Rijjkaard était moins dans l’esprit d’un Guardiola qui à fait du redoublement de passes en jeu court le point de départ incontournable de ses principes d’animation.
    Mais, bref! Ce qui me parait essentiel dans cette vidéo c’est la démonstration de toutes les immenses qualités d’animation d’un vrai 4/3/3 avec la possibilité de jouer en triangle dans n’importe quel coin du terrain. Busquet est un très bon joueur (et je suis le premier à l’apprécier) mais de là à en faire un génie il y a une marge. Que dire alors des autres comme Iniesta, Xavi ou Messi qui allient aussi un grand sens tactique avec une technique hors du commun?

    « Je ne connais pas le joueur dont tu as parlé »

    Un joueur bien moins doué que Busquet mais avec un grand sens tactique et surtout, comme Busquet, dans un contexte tactique (celui de Goethals et son 4/3/3 avec défense en ligne) très favorable.

  • C’est tout à son honneur d’avoir pu tenir ce rôle pendant 3 saisons, cependant si tu jettes un oeil sur l’ensemble de sa carrière, il n’y a bien qu’à Barcelone qu’il a joué à ce poste pour ses attributs physiques uniquement. Seulement une fois que Guardiola est arrivé, il a voulu réintroniser un milieu de terrain défensif du style barça (c’est-à-dire un joueur avec une capacité à dicter le jeu, comme l’a pu être Guardiola) et Yaya Touré n’en est absolument pas capable, dans le même temps, un joueur appelé Busquets apporte une qualité technique et une intelligence de jeu hors du commun pour un joueur évoluant à ce poste.

    Eto’o est parti pour des raisons très diverses, je ne vais pas m’étendre là-dessus mais je vais les cités : 2008 Guardiola dit ouvertement que Deco, Ronaldinho et Eto’o doivent quitter le Barça; Messi prend de plus en plus d’ampleur et l’idée de le faire jouer dans l’axe prend forme; il faut renouveler l’équipe pour éviter de tomber dans la monotonie; Zlatan Ibrahimovic présente des qualités techniques et de passes bien au-dessus de Samuel; Eto’o veut un plus gros salaire…. tout ça a conduit à son départ.
    Dans le cas de Yaya, c’est pas pareil, Busquets est une vraie révolution et tient déjà le poste à merveille. L’Ivoirien perd sa place et ne joue plus beaucoup ce qui le conduit, lui, à vouloir partir, Guardiola n’a pas voulu qu’il parte mais le joueur ne voulait pas être remplaçant voilà tout.

    C’est une réalité, Yaya Touré est un joueur offensif, de fait il se laisse souvent aller à des incursions dans la défense adverse et délaisse donc son poste, Guardiola lui a souvent (vraiment très souvent) fait la remarque en plein match. Il était inadapté à ce que Guardiola voulait au poste (c’est à dire Busquets).

    Pour moi, Busquets est simplement génial, son sens de l’anticipation, son effacement au profit des autres, son jeu à une touche, ses nombreuses humiliations (Ozil peut en témoigner)… tout ça en font un joueur unique à son poste et donc un génie de son poste. Plus un joueur joue haut sur le terrain plus il a besoin d’être inventif et fin (donc évidemment, Messi, Iniesta et Xavi sont dans un autre registre) mais ce que fait Busquets est impressionnant.

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