Scouts toujours pas prêts : le recrutement en Ligue 1, pourquoi ça coince

Le 1 juillet 2015 - Par qui vous parle de , Tags : , , , , ,

La semaine dernière, le talentueux Martin Mosnier d’Eurosport publiait une passionnante série d’articles sur les méthodes de scouting des clubs de Ligue 1 (ici, et ). L’un d’entre eux a particulièrement attiré notre attention : il porte sur les lacunes manifestes des clubs français à dénicher des pépites parmi les joueurs professionnels, à l’heure de leurs premiers ballons dans les grands stades.

Un désamour des rookies

Car si la Ligue 1 se défend raisonnablement en matière de recrutement des jeunes amateurs et hérite d’une tradition de centres de formation dans beaucoup de clubs, il en est tout autre en ce qui concerne les rookies. Sur ce sujet, les chiffres sont criants : lorsque Porto dépêche près de 200 scouts à travers le monde, la moyenne des grands clubs français est de… deux personnes. Presque aucun déplacement hors France, même pour les plus grandes compétitions comme la dernière coupe du monde U20 (seul un agent de Monaco était du voyage).

TOP20 FIFA U20 WC 2015 (seconda parte) from MondoFutbol on Vimeo.

Qui a dit que la nouvelle génération ne valait pas le détour ?

Pourtant, la logique voudrait que la dynamique de recrutement des rookies soit une formidable opportunité, aussi bien pour les clubs que pour les joueurs concernés.

D’abord, c’est précisément à cette période de leur carrière que la valeur marchande de ces joueurs est susceptible de décoller. Porto pour n’en citer qu’un, côtoie depuis des années les sommets de l’UEFA, notamment grâce à ces plus-values. Par ailleurs, en plus des résultats économiques et sportifs engrangés, le club acquiert une nouvelle réputation : les chercheurs d’or y affluent du monde entier, contrats en main, et les pépites émergeant de ces mines finissent de convaincre les prochaines générations à confier leur avenir à ces clubs de haute visibilité.

Aussi, et parce que l’époque s’y prête, c’est un des secteurs phare dans lequel l’open data a de quoi jouer un rôle décisif. Car comme nous l’avons souligné dans un précédent billet, nombre d’outils libres permettent dès aujourd’hui de prendre la température auprès de joueurs méconnus, d’évaluer leur coût, voire leur évolution potentielle. Bien utilisés, ces outils pourraient profondément atténuer l’importance des budgets alloués au scouting, offrant un nouveau levier pour les clubs qui n’osaient plus y croire.

Un modèle qui peine à se renouveler

Comment alors se justifie un tel décalage ? D’une part, face à un marché qui se durcit (lire là-dessus l’interview de Florian Maurice), les clubs investissent peu dans ces cellules, préférant placer leurs jetons ailleurs ; comme expliqué plus haut, pas malin, mais pas si grave. D’autre part, un fossé culturel latent semble ancré en profondeur dans la politique des clubs hexagonaux ; voilà qui nous interpelle un peu plus.

D’abord, hormis leur faible nombre, il faut savoir que les scouts salariés des grands clubs français sont en majorité d’anciens joueurs. Certes, leur connaissance du jeu et du terrain penchent en leur faveur, mais à en croire Martin Mosnier, il n’est pas fréquent qu’ils témoignent d’une grande pugnacité dans leur tâche. Ailleurs en Europe, les profils des scouts sont aussi multiples que leurs méthodes. Et si outre-Atlantique, certains ont de quoi faire sourire nos franchouillards sûrs de leurs compétences, c’est bien en faisant confiance à un gérant d’entreprise de cartes postales de 60 ans que Tottenham a découvert Gareth Bale.

Malgré toutes leurs qualités, miser sur d’anciens joueurs reconvertis peut aussi devenir un frein sur le plan technologique ; rares sont les mises à niveau en ce qui concerne les nouveaux outils d’aide au recrutement qui inondent pourtant le marché européen, comme la plate-forme Wyscout. La Ligue 1 peut ainsi faire preuve d’un certain archaïsme, à l’image des reportings sous forme de “bulletins scolaires” tenus par Mustapha Hedna, pourtant auteur d’un bon travail à Monaco, en tant que coordinateur du scouting entre 2010 et 2014. Autre illustration, anecdotique diront certains, mais assez flagrante pour les avisés : lorsque Hedna se vante d’avoir repéré Arturo Vidal il y a cinq ans à Leverkusen, les joueurs assidus de Football Manager 2008 ont franchement de quoi s’arracher les cheveux.

edna2Extraits des notes de Mustapha Edna

wyscout2
… et de la plate-forme Wyscout

 Ce même Hedna confirme d’ailleurs une autre tendance qui nous apostrophe :

« Dans notre métier, ce qui est très important, c’est le réseau. Il faut connaître des entraîneurs, des agents et des éducateurs. J’étais en contact avec des gens dans les pays où j’allais. Toute l’année, j’étais informé, on me disait : ‘J’attire ton attention sur un joueur. Il a un jeune de 17 ans qui vient de démarrer en équipe première. […] Si tu as un moment, viens le voir.’ »

Or, comme en témoigne, dans l’article de Mosnier un scout français issu d’un club réputé :

« Le copinage fait beaucoup de mal au recrutement des clubs français, les agents sont plus influents que les recruteurs« .

Enfin en France, les décideurs des grands clubs auraient la fâcheuse habitude de se penser plus compétents que leur recruteur pour juger de la qualité d’un joueur. Une philosophie qu’on ne retrouve pas qu’au football, rétorquerez-vous… Mais c’est d’autant plus dérangeant lorsqu’on voit le succès d’un Wenger, Benitez ou Guardiola qui délèguent d’énormes responsabilités à leurs cellules de recrutement, avec les résultats qu’on leur connaît.

Le changement, ça prend du temps

Ainsi, c’est un travail de fond que la Ligue 1 doit engager pour se mettre à hauteur de ses concurrents internationaux, et cela ne passe pas uniquement par les finances. Une preuve de plus que le football professionnel est un milieu relativement fermé, qui gagnerait à s’ouvrir.

Aujourd’hui, la France demeure encore réticente à intégrer la data comme un outil susceptible de redistribuer les cartes, notamment en matière de recrutement et de potentielles plus-values. Or, l’ère de l’open data dans le football n’est qu’un mythe pour les dinosaures du métier : elle a d’ores et déjà commencé, et ceux depuis plusieurs années, réduisant à néant les excuses bien trop faites.

Cet effort d’adaptation et de confiance sera ardu, et son fructus ne se ressentira pas avant des années. Mais il est indispensable à la pérennité d’un championnat et d’un cœur de supporters qui le méritent.

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