Claude Onesta, apôtre de l’interdisciplinarité tactique

Le 3 février 2015 - Par qui vous parle de , Tags : ,

Et si, en les regardant de loin, tous les sports collectifs étaient similaires ? Bien sûr, chaque discipline a ses spécificités, induites par un ensemble de règles et de paramètres. Mais en prenant un certain recul, tous les sports finissent par se ressembler… et par corollaire, il est possible d’appliquer à l’un les enseignements de l’autre. C’est l’objet d’un de nos récents billets, publié chez les Dé-Ménagers : l’espace footballistique est-il universel ?  Nous nous interrogions notamment sur les motivations d’Eddie Jones, entraîneur de l’équipe de rugby japonaise, à s’inspirer du travail de Pep Guardiola au Bayern et au Barça, avec en fond cette question : que peuvent au football les autres sports apporter ?

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Dans cette même veine, SoFoot vient de publier un somptueux entretien avec Claude Onesta, entraîneur de l’équipe de France de handball, l’un des plus grands managers que le sport ait connu. Un entretien qui vient renforcer nos convictions sur le sujet : oui, l’interdisciplinarité sportive est possible, et même souhaitable ! Mais comment cela se traduit-il concrètement, en termes de tactique et de jeu ? La leçon est offerte par Claude Onesta, l’homme aux huit finales jouées, huit finales remportées. Alors forcément, on écoute et on apprend. Extraits.

« Les sports collectifs sont régis par le même fonctionnement. Vous avez un ballon ou un palet qui est l’enjeu, des cages ou un panier qui est votre objectif, vous avez deux équipes qui vont s’organiser pour occuper l’espace de la façon la plus rationnelle possible. On va donc identifier des systèmes de jeu qui doivent vous permettre de dépasser l’organisation défensive mise en place par l’équipe adverse. »

Les proximités entre les grands canons du sport collectif sont notamment mises en exergue par la présence d’une zone spécifique (la surface en foot, la zone en handball, la raquette en basket, et dans une certaine mesure les 22 mètres en rugby), qui préside en partie à l’organisation du jeu :

« Vous n’avez pas 50 solutions. Soit vous traversez [la surface] au milieu, soit vous allez la déborder par les côtés ou par la hauteur, cela peut être le tir au-delà des neuf mètres au hand, le tir à trois points au basket et la frappe de loin ou le centre aérien au foot. Toutes les recherches tactiques dans les sports collectifs s’articulent autour de ces trois thèmes. Le principe est d’amener un joueur dans la meilleure situation possible de tir. »

Plus généralement, les proximités se traduisent dans l’optimisation de l’efficacité tactique, ou comment rendre une action la plus performante possible. Nous vous conseillons au passage la lecture de l’entretien dans son ensemble, où Claude Onesta tient de très judicieux propos sur la gestion de l’efficacité dans les sports professionnels – et l’absence de spectacle qui va avec…

« Dans tous les sports collectifs, les équipes qui gagnent sont celles qui sont dominantes défensivement. C’est d’abord dans ce secteur qu’on construit la victoire. Parce que la défense, ce n’est pas seulement empêcher l’autre d’attaquer. Bien sûr, vous décidez de subir et d’empêcher l’attaque adverse d’approcher de vos buts. Mais la défense moderne, c’est choisir d’attaquer l’attaque adverse et de récupérer des ballons pour opérer en jeu rapide. C’est le jeu en contre-attaque et c’est le plus efficace, car vous êtes face à des défenses qui n’ont pas eu le temps de s’organiser. En trois-quatre passes, vous pouvez marquer, alors qu’il faudra une succession pour marquer sur attaque placée. Et ça, c’est vrai pour le foot, le rugby, le hand ou le basket. »

Bien évidemment, il existe des différences entre tous ces sports – les nier serait non seulement absurde, mais de surcroît contre-productif par rapport à l’objectif que nous nous sommes donnés en préambule. Mais ce sont justement ces différences qui, si on en comprend le fonctionnement endogène, peuvent être mises à profit dans d’autres sports. Il en va ainsi de la zone en handball, qui peut fournir de précieux enseignements sur les tactiques à appliquer pour « contourner » une défense en football :

« Là où le foot se rapproche du hand, c’est sur la façon dont l’attaque va s’organiser autour de la surface de réparation ou de la zone au hand. Chez nous, la zone est marquée, et les joueurs ne peuvent pas y pénétrer, alors qu’au foot, elle est effective. La défense est organisée de telle façon devant elle, qu’on va tourner autour sans forcément pouvoir y entrer. Comme au hand, l’attaque va chercher à étirer la défense en largeur avec des passes latérales, et cela va faire effectivement penser à l’attaque placée du handball. »

« Il s’agit donc de présenter une alternance de jeu pour faire sortir la défense de sa zone de sécurité. Les principes sont les mêmes, mais les moyens sont différents. Par exemple, quand un ailier déborde au handball, il va pour marquer, alors qu’au foot, il va chercher une solution dans l’axe. Le tir de loin va être plus fréquent au hand, mais il permet comme au foot de faire monter les défenses. Si je ne suis jamais dangereux de loin, la défense ne va pas monter. Mais je ne peux pas marquer que de loin, il faut aussi arriver à combiner dans le cœur de la défense pour avoir des situations de frappe de près. Les meilleures équipes sont celles qui maîtrisent toutes ces alternances. »

Performance and Kinematics of Various Throwing Techniques in Team-Handball

Et cela est vrai au handball, comme tous les autres sports mentionnés. L’hyper-spécialisation tactique a toujours été préjudiciable, et c’est précisément dans cette perspective que s’est inventé le football total. Disposer d’une palette de stratégies optimales est la clé : dans ce contexte, s’inspirer des « bonnes recettes » mises en œuvres dans les autres sports peut largement contribuer à cette diversité de choix.

La suite de l’entretien est tout aussi passionnante, dans lequel Claude Onesta prouve sa grande connaissance du football. Et bien qu’il ne soit, de ses propres mots, « plus un grand fan de foot », l’entraîneur s’essaye même à un petit exercice de prospective tactique en s’interrogeant sur une potentielle modification des règles.

Il y a des gens qui réfléchissent à la question dans tous les sports. Les temps d’entraînement ayant augmenté, on a des joueurs capables de couvrir plus de distance, ce qui réduit l’espace libre sur le terrain et la possibilité de déstabiliser la défense. Ce qui donne cette impression d’avoir trop de joueurs sur le terrain. Faut-il adapter les règles, enlever un joueur ? Il faudra se poser la question.

Bref, passionnant de bout en bout. De là à imaginer qu’Onesta coache un jour une équipe de football, et pourquoi pas l’Equipe de France… il n’y a qu’un pas que nous osons franchir sans hésitation.

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3 février 2015

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